« Dans la tradition chrétienne, Jean le Baptiste est le dernier prophète, celui qui, récapitulant le passé, ouvre à la pointe du présent la possibilité d’un avènement. Il faut un sacré culot, et beaucoup d’humour pour, dès le titre de son film, se proclamer prophète. Or c’est avec le plus grand sérieux, et la plus grande fidélité à son saint homonyme, que Jean-Baptiste Alazard s’acquitte de la mission qu’il s’est donnée : se retourner sur le passé pour y révéler la promesse d’une justice toujours à venir. Ce passé est le sien, et celui de ceux avec qui il a choisi de vivre. « Je voudrais juste peindre des hommes et des femmes avec ce je ne sais quoi d’éternel » (Van Gogh), le cinéaste en revendique l’ambition et, doux miracle, la réalise. Visages d’amis découpés dans le noir, leurs gestes dégagés de toute finalité, portés par leur propre lumière. Cadre et coupe sculptent chaque plan comme un écrin qui fait briller le moindre geste, chaque visage, les sertit d’éternité. Ce sont d’abord des plans somptueux et brefs, scintillants éclats de beauté arrachés au fil d’une décennie vécue loin des villes, dans les plis et les marges où se cultivent les formes de vie souveraines d’un peuple réfractaire. Ce sont ensuite des fragments d’un passé plus ancien, prélevés dans l’histoire du cinéma : saluts aux maîtres admirés, éclats de leurs films accordés à la matière première par un montage qui exalte les ressemblances, affirme la fraternité des formes, produit l’évidence d’une autre humanité à travers les âges. De cette humanité minoritaire, de ces vies de déserteurs, une voix à la résonance prophétique chante la louange. Album nostalgique d’une décennie d’amitiés et de luttes, panégyrique d’un peuple libertaire, de sa morale festive et émeutière, tel est le miracle de Saint Jean-Baptiste : à chaque instant, dans chaque image, l’avenir y éclate parmi les souvenirs. » (Cyril Neyrat)